CORENTIN DARRÉ – CHAGRIN

CHAGRIN

ARTISTE:
CORENTIN DARRÉ

DATE:
30.11.24 – 18.01.25

LIEU:
SISSI CLUB, MARSEILLE

GRAPHISME:
MARIE-MAM SAI BELLIER

IMAGE:
© CORENTIN DARRÉ

À partir d’un travail d’écriture, de contes ou de courtes histoires, Corentin Darré fabrique des installations qui matérialisent un schéma actantiel1 au sein de l’exposition. Ses œuvres sculpturales prennent la forme d’éléments architecturaux — cabane, ponton, façade — comme des espaces échappés de la fiction. Au sein de ces fragments, il insère des images, fixes ou en mouvement, des mots, des objets : des items qui indiquent la trame narrative qui se joue, font office de boussole, de repère et accompagne læ visiteur.ice.

Corentin Darré aborde des thématiques telles que l’hostilité des relations humaines, l’agression, l’amour et la solitude, souvent explorés sous l’angle de la tragédie, du destin d’amants maudits. En détournant les légendes et les figures qui construisent l’imaginaire collectif et en inversant la destination de leur avertissement moral, il invente de nouvelles représentations mythiques et questionne les attitudes du monde face à l’altérité.

Le point de départ de ‘Chagrin’ est une nouvelle écrite par l’artiste, ‘Avant que les champs ne brûlent’ dans laquelle il imagine l’histoire d’un couple homosexuel accusé à tort d’être responsable d’une sécheresse. Emprunt de multiples références cinématographiques — des westerns futuristes Interstellar (Christopher Nolan, 2014) ou la série Westworld — le village qu’il dépeint, au milieu des champs de maïs, devient le théâtre contemporain de la violence et du deuil, entre homocide et écocide.

Dans Je brûle pour toi et À tes risques et périls, 2024, il recompose par bribe les éléments du décor : la façade des maisons en bois brunies par le temps, l’enseigne du troquet, l’interphone et la boîte aux lettres, dans lesquels il dissémine des messages de menace ou d’amour. Par ce recours, il croise l’esthétique des slashers états-uniens des années 1990 à l’ambiance cheesy des romances d’amour, et permet l’accentuation de la tension dramatique par palier. 

Au fil des toiles incrustées, dans de petites fenêtres ou entre les planches d’une grange (Première poignée de terre, 2024), on peut apercevoir des séquences de la vie des deux amants : étreinte, sommeil, attaque, larme et funérailles. Par ces courts aperçus, l’artiste interroge le voyeurisme qui se déploie dans l’expérience de l’observation, questionnant les rapports cathartiques entre le spectateur et l’image.

L’esthétique photographique héritée du jeu vidéo, amène la représentations à des postures figées, parfois théâtralisées, volontairement exagérées : la main sur le chapeau du cow-boy esseulé ou l’ombre des accusateur.ice.s avec les fourches brandies (La mort est dans le pré, 2024). Vernies par la résine, apposée sur les toiles comme un écran, l’artiste confère une texture à la fois lisse et luisante aux œuvres, à l’instar des images numériques. Ce matériau, tout en apportant une dimension tactile et érotique, joue sur l’idée de l’image qui se fige dans un état de désir et de secret.

En utilisant la figure du cow-boy, Darré prend appui sur une cosmogonie hollywoodienne par un biais queer à la manière du Secret de Brokeback Mountain (Ang Lee, 2005) ou des Lonesome Cowboys (Andy Warhol, 1968), des histoires de désir et d’interdits, terribles ou parodiques. En révisant ce personnage symbolique, hétéronormatif, comme fétiche gay, il questionne l’existence des corps minorisées en milieu rural et interroge, en creux, une dimension sociale et politique white trash. Ainsi, Darré invite à entrer dans le territoire fictionnel et propose une expérience à l’envers du décor.

1. Créé par Algirdas Julien Greimas en 1996, le schéma actantiel rassemble l’ensemble des rôles et des relations qui ont pour fonction la narration d’un récit.