MADISON BYCROFT – WATERLOGUE ~ SPIN CYCLE

WATERLOGUE ~ SPIN CYCLE

ARTISTE: 
MADISON BYCROFT

DATE: 4.05 – 24.06

GRAPHISME: 
TOMAS DI GIOVANNI 

IMAGES © SISSI

~ spin cycle est la première occurence du projet Waterlogue qui prendra, tour à tour, la forme d’un film, d’une performance, d’un objet.
Par le biais de différents médiums — performance, écriture, peinture, sculpture, vidéo —, dont l’exposition permet de voir, de manière tentaculaire, toutes les facettes, Madison Bycroft crée des formes, plastiques ou langagières, autour des notions de fluidité, de trouble, d’ambiguïté. Iel développe une œuvre en lien avec les profondeurs de la mer, abstraite et « planctonique » (1).

Inspirée de la dynamique de l’eau — vagues, marées, tourbillons, courants — l’artiste invente des outils incongrus : des expériences, des tests plastiques, permettant la création d’un rythme de narration moins rigide, capable de résister « aux raidissements des pensées de système » (2). À l’instar des concepts de seametric et tidalectic — écumétrique, étalectique (3) — développés par Kamau Brathwaite (4), ses œuvres proposent de lire la contemporanéité du monde par un prisme aquatique.

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Le programme essorage est lancé. Couverte de miroirs brisés, la machine à laver — mosaïque antique ou boule disco contemporaine — est le réceptacle d’images projetées. Comme à la surface de l’eau, elle absorbe, diffracte et re-propage le film en micro particules. Eclatées en mille morceaux, les narrations défilent, frétillent sur le mur. Dans ces fragments, Madison Bycroft donne à voir un entrelacement d’images, celles inédites de son film Waterlogue (5) et une banque d’images googlées, superposées, inversées, elles-mêmes diffractées, miroitées. Articulés ensemble, le film et le texte, pensées comme un flux ininterrompu, se renvoient la balle inlassablement. Comme les mouvements du tambour de la machine, les images reviennent, les airs restent dans la tête, à la manière d’une ritournelle.

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Madison Bycroft réinvente des dispositifs à partir de mécaniques prosaïques et matérialise visuellement la théorie de la pensée du tremblement d’Edouard Glissant. Celui-ci décrit une « pensée sismique du monde qui tremble en nous et autour de nous », plus à même de saisir les bouleversements de ce qu’il nomme le « chaos-monde » (6). Ainsi, comme si la mer avait séchée, des mini-cités peuplées de créatures marines, faites de de coraux, d’objets hétéroclites agglomérés, forment un monde camp, pétillant et grinçant. Perchées sur les poutres de la galerie, les séries de céramiques Unplumbed (2023) et Exit Door (2023) flottent comme des vallées du vent (7), s’agglutinent et s’élèvent dans les interstices.

Les Waterlogues (2023), sédiments de coquillages, pince de crabe, perles, émaux et tuyaux, s’agrippant au mur tels des mollusques, créent une multitude de systèmes d’écoulement. Ensemble, ces sculptures-céramiques entremêlées forment des sortes de superorganismes, des constructeurs de récifs.

Au cœur de ce décor se baladent Franky goes to Hollywood (2023), Freaks shall inherit the earth (2023) comme « des poissons clignotants dans la mer », des soliloques à la subjectivité indéfinie (8). Ils reflètent le concept d’anti- portrait que développe l’artiste dans ses films, c’est-à-dire des personnages pouvant être considérés à la fois comme eux-mêmes et comme autres.

Ce goût pour l’indicible se fonde, enfin, sur la notion de « middle voice » (9). Pour Madison Bycroft, flotter, dériver, ne pas être rattaché·e à quelque chose, tout en étant en contact avec l’eau et tout ce qu’elle contient, peut être une façon d’ouvrir une voie autre, de tenter de résister à des contraintes par lesquelles nous sommes défini·e·s. Au cœur de ce récif, iel recrée une sorte d’intelligence collective. Dans l’éclat, le brisé, la diffraction, la fragmentation de soi, Waterlogue ~ spin cycle laisse éclater une « disco revanche » à même de recréer communauté:

because if you can do this impossible thing, then there’s hope for all of us. et cette chose impossible, si tu y arrives, alors il y a de l’espoir pour nous tou.x.te.s

1. Planktós désigne les animaux « errant » à la surface des flots dans L’Odyssée d’Homère.
2. Issu d’un entretien d’Édouard Glissant avec Laure Adler, « Tropismes », France Televisions, décembre 2009.
3. Traduction proposée par Gabriel René Franjou: écumétrique (écume + métrique) ; étalectique (étale + tique).
4. Possiblement traduits par l’assemblage des mots « mer » ou « marée » couplés au suffixe « ique », ces nouveaux adjectifs relatif à la technique permettent à l’auteur de sonder les profondeurs marines, leur agissement sur le monde et les paysages, comme outils de compréhension de l’histoire coloniale et des dérèglements environnementaux.
5. En cours de production, filmée en Suisse lors de sa résidence à la Becque.
6. Cf. Édouard Glissant, La Cohée du Lamentin. Poétique V, Gallimard, 2005.
7. Pour reprendre le vocabulaire de Nausicaä La Vallée du Vent de Hayao Miyazaki. Dans le manga, celle-ci sont protégés par des spores et de la fukai par des vents marins.
8. À l’instar des protagonistes du livre The Waves de Virginia Woolf
9. Catégorie linguistique du grec ancien pour décrire les verbes qui ne sont ni actifs, ni passifs, ou les deux à la fois.